Une éthique de la discussion pour sombres temps démocratiques

Elargissons le cercle des signataires du texte de soutien à Marcel Gauchet à la société dans son ensemble. Toutes celles et ceux qui le souhaitent peuvent le signer en allant à cette adresse :
http://cargocollective.com/pouruneethiquedeladiscussion

Tribune collective parue sur lemonde.fr le 17 octobre 2014

Les Rendez-vous de l’Histoire de Blois sont passés, la charge contre Marcel Gauchet ne faiblit pas. Pour celles et ceux qui ont été formés par lui, travaillent dans son sillage intellectuel ou, simplement, lui reconnaissent une œuvre stimulante, il est devenu impossible de laisser plus longtemps se dérouler la litanie infamante qui l’accable.
Ce n’est pas le lieu de restituer les fondamentaux d’une pensée dense et encore moins de répondre par le détail aux accusations aberrantes qui la visent. Ce qui nous importe ici, c’est de dénoncer la méthode adoptée par les rebelles autoproclamés et d’en révéler la gravité pour l’avenir du débat intellectuel français.

Ce qui est reproché à Marcel Gauchet, c’est d’exercer dans la sphère publique une influence « décisive et délétère » sur fond d’accointances avec les plus conservateurs de nos dirigeants politiques et économiques. À partir d’une disqualification inouïe qui nie la rigueur de sa démarche, on entend réduire son œuvre au statut de catalogue idéologique à usage des dominants.

CENSURE CONTRAIRE À LA LIBERTÉ

On peut évidemment ne pas être d’accord avec Marcel Gauchet, et cela nous arrive à tous ; mais marquer l’auteur du sceau de la réaction au mépris de toute connaissance des analyses qu’il développe depuis une quarantaine d’années, c’est ignorer la rigueur et la civilité propres à toute critique scientifique. Lui dénier par ailleurs toute place dans le champ des sciences sociales, c’est exercer une forme de censure contraire à la liberté de l’esprit universitaire.

Si la démocratie se définit par l’acceptation des désaccords et par le respect du pluralisme, que penser de ceux qui exigent de placer la discussion intellectuelle, et la vie académique elle-même, sous la coupe d’une doctrine monolithique et partiale ?

Nous retrouvons derrière les arguments mobilisés le schéma éprouvé qui oppose les puissants et leurs penseurs inféodés d’un côté, les masses ignorantes et opprimées de l’autre. Entre les deux, s’érigent les vaillants dénonciateurs du crypto-fascisme qui ne trouvent rien de mieux à faire, en ces temps de désarroi, que de désigner un bouc émissaire en la personne d’un chercheur et d’un enseignant dont le souci est de sortir des oppositions binaires et des combats stériles. Ce que nous décelons, derrière l’acharnement des supposés détenteurs de la Vérité, c’est l’incapacité d’une gauche qui se veut radicale à dépasser le stade de la contestation et de la désapprobation morale. La stigmatisation haineuse est la marque du désespoir.

C’est précisément parce qu’il offre des outils précieux pour penser la crise contemporaine qu’il nous paraît important de ne pas laisser croire que Marcel Gauchet serait « profondément réactionnaire ». Le diagnostic qui est le sien d’un pouvoir qui a perdu prise sur la société et d’individus qui ont perdu le sens de la vie en commun fait l’objet de discussions depuis longtemps. Il dérange en ce qu’il vise le cœur même de nos démocraties, mais il n’en reste pas moins un diagnostic fécond qui incite à la réflexion.

Abandonner l’analyse du temps présent aux moralistes militants d’un progrès qu’ils seraient les seuls à défendre serait désastreux. Nous refusons de les laisser diviser la vie intellectuelle entre les bons qui adoptent la posture critique de ceux qui montrent le chemin et les méchants qui endossent la posture inique de ceux qui regardent vers l’arrière.

Le débat public doit obéir aux règles de la controverse respectueuse et de la confrontation rigoureuse des arguments. Il y va, peut-on dire en paraphrasant Hannah Arendt, d’une éthique de la discussion pour sombres temps démocratiques. Pas de vindicte ni de hargne aveugle, mais une tentative pour garantir les conditions minimales de civilité et de probité au sein de la communauté des chercheurs dont les armes ne sont que les mots et dont les ambitions se limitent à rendre compte des transformations de notre monde commun.

Ce texte est signé par Emanuel Bertrand (maître de conférence en sciences sociales, ESPCI-ParisTech), Nathalie Caron (professeure en civilisation américaine, université Paris IV), Alexandre Escudier (chargé de recherches, FNSP-Cevipof), Camille Froidevaux-Metterie (professeure en science politique, université de Reims Champagne-Ardenne), Cécile Gonçalvès (doctorante EHESS, enseignante en sciences sociales), Jean-Vincent Holeindre (maître de conférence en science politique, université Paris II), Benjamin Loveluck (chercheur post-doctorant et enseignant en sciences sociales), Denis Maillard (directeur de la communication d’un cabinet de conseil), Luuk van Middelaar (historien et philosophe), Jean Pichette (enseignant-chercheur en sciences sociales, Montréal), Sylvain Piron (maître de conférence en histoire, EHESS), Stéphane Vibert (professeur en anthropologie, université d’Ottawa) et Paul Zawadzki (maître de conférence en science politique, université Paris I).

Celles et ceux qui le souhaitent peuvent signer ce texte de soutien à Marcel Gauchet en cliquant sur ce lien : http://cargocollective.com/pouruneethiquedeladiscussion

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