Une critique du troisième volume de « L’Avènement de la démocratie » dans l’Expansion

Dans cet article, Bernard Poulet fait la rencension de trois essais :

A l’épreuve des totalitarismes (1914-1974), Marcel Gauchet, Gallimard, 661 pages, 24 euros.
Retour sur le XXe siècle,
Tony Judt, Héloïse d’Ormesson, 618 pages, 30 euros.
L’Opinion allemande sous le nazisme,
Ian Kershaw, CNRS Editions, 450 pages, 10 euros.

Histoires du XXe siècle – LExpansion.com.

De la démocratie aux totalitarismes, les parcours de l’Europe depuis 1900 décryptés au fil de trois essais.

Il faut comprendre le XXe siècle pour deviner celui qui nous attend. Comprendre la crise qui submergea les démocraties libérales au tournant de 1900 et qui engendra les monstres totalitaires, comprendre comment la démocratie trouva un second souffle au sortir de la Seconde Guerre mondiale, pour, aujourd’hui, décrypter les raisons d’une rechute que nous voyons s’accomplir sous nos yeux. C’est le travail rigoureux auquel s’attelle le philosophe Marcel Gauchet en publiant le troisième volet d’une enquête sans équivalent sur le parcours de nos démocraties.

Il consacre d’admirables pages au mystère de la Première Guerre mondiale, ce conflit d’abord perçu comme une libération des tensions qu’un monde finissant avait accumulées, mais dont personne n’avait prévu l’ampleur, et qui scella le destin de l’Europe. Le triomphe des idéologies totalitaires, le souhait violent de l’unité politique comme substitut à l’unité religieuse, le rôle du racisme et de l’antisémitisme, Marcel Gauchet revisite toutes ces questions et leur apporte des réponses originales. La manière dont il démontre comment Lénine a ressuscité un marxisme moribond en le retournant en son contraire est de la belle ouvrage. Enfin, l’explication des raisons du triomphe de la démocratie libérale après 1945 est stratégique pour lire la crise qui commence au milieu des années 70. On attend avec impatience le dernier tome de cette fresque (probablement dans un an).

C’est le même genre de questions, sur un mode moins savant, que se posait l’historien britannique Tony Judt, emporté il y a quelques mois par la maladie de Charcot. Il faut lire ses essais, où il nous montre lui aussi qu’on doit combattre l’oubli de l’histoire, cette ignorance de notre héritage à laquelle nous cédons trop souvent. La démocratie, apparemment apaisée, nous a trop fait croire que le « présentéisme » suffirait. C’est brillant, intelligent, ce qu’on fait de mieux chez les public intellectuals anglo-saxons. Tony Judt n’a jamais eu peur de prendre les opinions dominantes à rebrousse-poil (il fut ainsi ostracisé par le New York Times pour ses réflexions sur Israël). Contre un xxe siècle réduit à un « palais de la mémoire morale », ce libéral de gauche porte la pointe au coeur des problèmes, avec un vrai bonheur de style (« Thatcher croyait à la privatisation, écrit-il dans un chapitre sur son pays, Tony Blair, lui, aime les riches, un point c’est tout »). Au fil des pages, on se sent plus intelligent.

Enfin, signalons la réédition d’un grand classique de celui qui est sans doute le meilleur historien du nazisme, Ian Kershaw. Le travail qu’il a consacré à l’opinion allemande sous le nazisme ne cède jamais aux simplifications. Ne réduisant pas les attitudes des Allemands à l’enthousiasme fanatique, mais ne prenant pas non plus la passivité grognonne pour de la résistance, il démontre avec pertinence comment l’invariance et la morosité ont fait barrage au bouleversement social total que souhaitait Hitler.

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