Il est temps de sortir de l’autonomie de façade des universités françaises

Tribune signée par Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet et François Vatin et publiée par Le Monde le 24 octobre 2012.

La refondation indispensable de l’université française exige une analyse approfondie de sa crise actuelle, certes aggravée par la loi libertés et responsabilités des universités (LRU), mais dont les sources profondes sont beaucoup plus anciennes.

Dans notre ouvrage de 2010 (Refonder l’université, La Découverte) nous avons montré, statistiques à l’appui, que les étudiants, dès qu’ils en avaient l’opportunité, fuyaient l’université. La majeure partie du public à même de suivre des études supérieures longues et fondamentales se détourne ainsi de l’université, à qui on demande, en revanche, d’accueillir une population sortie de l’enseignement secondaire sans les prérequis nécessaires à cette fin ni même, pour beaucoup, sans le désir de s’engager dans un tel cursus.

Cette configuration absurde, connue de tous depuis longtemps, mais qui n’a cessé de s’aggraver, est pourtant le plus souvent occultée dans la parole publique, celle des politiques, comme celle des universitaires eux-mêmes. Lever ce non-dit est pour nous la condition pour s’engager enfin sur la voie de réformes authentiques susceptibles de sauver l’université française de son déclin accéléré.

Nous voudrions fournir des propositions simples, pour un changement de cap.

1. Il faut d’abord parvenir à dissocier la politique de l’enseignement supérieur de celle de la jeunesse, que le président Hollande a placée, à raison, parmi les priorités de son quinquennat. L’attribution à la jeunesse d’un statut visant à son autonomie sociale et financière dans un contexte de chômage de masse est une nécessité politique de l’heure. Une vraie politique d’enseignement supérieur doit se préoccuper de la formation tout au long de la vie et non seulement de la prise en charge des flux annuels de bacheliers.

2. Il faut que les autorités gouvernementales prennent en considération le caractère plural de l’enseignement supérieur français et mettent en place en conséquence une politique globale, sous la tutelle d’un ministère unique, à même d’imposer un cadre réglementaire commun minimal à tous ces opérateurs permettant de réguler l’orientation des étudiants entre les divers dispositifs, publics et privés. Les formations privées, pas toujours de qualité, occupent, sans qu’on y ait pris garde, une place de plus en plus importante dans notre enseignement supérieur. Une régulation publique d’ensemble s’impose.

3. L’autonomie, telle qu’elle a été envisagée par la loi LRU a été mal pensée. Il ne s’agit que d’une autonomie budgétaire destinée à permettre, sans le dire, un désengagement de l’Etat. La mesure la plus révolutionnaire a été la moins discutée : le transfert de la masse salariale aux établissements, en vertu duquel les universitaires, pourtant fonctionnaires d’Etat, sont désormais payés sur le budget de leur université. Telle est la bombe à retardement, subrepticement déposée par le législateur, et qui commence à déployer ses effets ravageurs.

D’un côté, en effet, les établissements universitaires ne sont pas maîtres de leurs dépenses, qui sont en majorité des frais de personnel dont le montant est légalement défini par les règles générales de la fonction publique. Mais, de l’autre côté, ils ne sont pas maîtres non plus de leurs ressources, qui sont soit pour l’essentiel attribuées par l’Etat, soit encadrées par celui-ci (droits d’inscription).

La réétatisation du paiement des fonctionnaires de l’enseignement supérieur semble donc nécessaire si l’on veut que les universités aient encore une marge de manoeuvre dans la gestion de leur budget. Comme l’espoir mis dans le financement privé (les fondations) paraît vain, toute autre solution conduirait, tôt ou tard, à une augmentation massive des droits d’inscription pour, simplement, éviter la « faillite » des établissements.

4. Le discours incantatoire autour de l’autonomie est d’autant plus paradoxal que les universités ne disposent d’aucune autonomie réelle dans la définition de leur mission et de leur organisation pédagogique. L’offre de formation reste encadrée par le ministère au nom du « cadrage national des diplômes », renforcé par l’arrêté sur la nouvelle licence de 2011 et en contradiction avec le principe de la réforme LMD (licence-master-doctorat) de 2002, et, surtout, les universités restent dans l’obligation d’admettre tous les bacheliers dans leurs cursus sous le contrôle tatillon des recteurs qui ont conservé le droit d’inscrire d’autorité des étudiants !

En la matière encore, des logiques politiques extérieures aux finalités de la formation supérieure l’emportent sur la logique universitaire. Une autonomie pédagogique réelle des établissements universitaires exige qu’on leur donne les mêmes droits qu’aux autres institutions d’enseignement supérieur en matière de choix de leur public.

5. La question cruciale concernant les universitaires n’est pas tant celle de leur évaluation, comme a voulu le faire croire le précédent gouvernement, que celle de leur recrutement. Il serait temps d’admettre qu’on recrute mal les universitaires en France et que ce défaut majeur est à l’origine d’un formidable gâchis, humain et financier. Ce n’est pas toujours la qualité scientifique des candidats qui prévaut, que ce soit en raison du primat accordé au candidat local ou en raison de phénomènes de chapelle scientifique. De ce point de vue, la loi LRU n’a rien résolu et a même aggravé la situation en donnant une compétence excessive au président d’université et à son conseil d’administration.

6. La question la plus grave est bien sûr celle de l’entrée en première année universitaire. Dans un contexte où tous les autres cursus de formation ont le droit de choisir leur public à l’entrée, l’université joue un rôle de « voiture-balai », chargée de prendre en charge ceux qui n’ont pas trouvé de place ailleurs.

L’hypocrisie est à son comble quand, au motif que le baccalauréat reste légalement le premier titre universitaire, on demande aux universités d’accueillir tous les titulaires d’un baccalauréat technique ou professionnel, alors que ces diplômes n’ont jamais été conçus dans la perspective d’une poursuite d’études à l’université et que l’on sait que les deux tiers des bacheliers technologiques et les neuf dixièmes des bacheliers professionnels n’accéderont jamais en troisième année de licence.

Il est illusoire de croire, comme on le « serine » régulièrement, qu’il suffirait d’encadrer plus strictement les étudiants de premier cycle (avec quels moyens d’ailleurs ?) pour régler le problème de l’échec en première année.

L’échec en premier cycle universitaire n’est que la plaie apparente d’une pathologie qui relève de l’ensemble du système français d’enseignement supérieur et de son articulation avec l’enseignement secondaire, c’est-à-dire du statut du baccalauréat, qui est plutôt un certificat de fin d’études secondaires.

Dans l’immédiat une solution simple et applicable consisterait à autoriser les universités à définir leurs exigences pour l’entrée en première année. En contrepartie, elles auraient l’obligation d’ouvrir un cycle de remédiation (« année zéro »), sanctionné par un examen terminal, pour le public jugé dans l’incapacité de suivre avec profit un premier cycle universitaire.

Nous pensons toutefois qu’il s’agit là d’une base incontournable pour tenter une inflexion de la trajectoire actuelle. Sans cette inflexion, on assistera à l’approfondissement d’un dualisme déjà bien installé de l’enseignement supérieur français, entre un secteur sélectif, de plus en plus souvent privé, et une université publique en train de devenir « l’université des pauvres ».

Une telle tendance conduit à un désastre culturel et scientifique, car le marché, qui est un dispositif de régulation de court terme, ne sera jamais en mesure de promouvoir la recherche fondamentale et la transmission désintéressée de connaissances qui sont au coeur de l’idéal universitaire. Il n’est pas trop tôt pour agir ; il est presque déjà trop tard.

Olivier Beaud, université Paris-II ; Alain Caillé, université Paris-X Nanterre ; Pierre Encrenaz, université Pierre-et-Marie-Curie ; Marcel Gauchet, EHESS ; François Vatin, université Paris-X Nanterre.

Les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, lancées en juillet par la ministre Geneviève Fioraso, auront lieu les 26 et 27 novembre, à Paris.

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3 commentaires

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Université

3 Responses to Il est temps de sortir de l’autonomie de façade des universités françaises

  1. weisz

    j’approuve entièrement votre analyse.J’avais écrit un long commentaire pour étayer ma position mais il a disparu de mon écran et je n’ai pas le courage de tout réécrire.

  2. weisz

    Cher monsieur

    ,Je me permets de vous envoyer ce commentaire sur votre tribune concernant l’université car le diagnostic me semble très juste mais je ne suis pas certaine que ce que vous proposez pour « refonder » l’université soit à la hauteu.r du diagnostic.

    Je crois ,en effet que la crise de l’université date au moins d’il y a une trentaine d’années .Et je suis très heureuse que vous ayez pu corroborer scientifiquement que les étudiants dès qu’ils en ont les moyens (notamment intellectuels) fuient l’université.
    1)
    Moi-même ;en tant que professeur de philosophie ,je conseille à tous mes élèves un peu travailleurs et déterminés à choisir une autre voie.Et je le fais très consciemment car ce qui leur est proposé à l’université en tant que cours ne correspond pas à une formation réfléchie.Dans ma discipline,pour donner un ex on peut trouver trois cours sur Machiavel en 1ère année par des enseignant peu interessés à harmoniser leur enseignement et aucune formation ordonnée !!! Ceci n’est jamais le cas dans les prépas littéraires ou scientifiques !!
    J’ai moi même fait mes études à Paris dans les années 70 et c’était déjà cette absence de souci du public .J’aurais à cet égard un grand nombre de faits et d’anecdotes à raconter.
    .En tout cas.je me présente toujours comme professeur agrégé,autodidacte de l’université( !).

    Ceux qui s’inscrivent donc à l’université ,ce sont ceux qui n’ont pas trouvé de place ailleurs(BTS ,iut ecoles d’art…),ils ne sont pas très motivés et sont encore moins que les autres adaptés au type « d’enseignement » que leur prodiguent souvent des adter.
    La récente réaction des « enseignants-chercheurs qui voyaient comme une punition qu’on leur infligeait le fait d’avoir à assurer des heures de cours ne peut pas faire penser (de l’extérieur) que l’investissement auprès des étudiants soit très ardent .

    Tant qu’on n’aura pas changé la réputation de l’Université,je crois que toute proposition de refondation sera sans effet positif .
    Ceci n’exclut pas,et vous avez tout à fait raison , que l’on agisse de telle sorte que la sécurité sociale pour les jeunes ne ,soit pas liée à l’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur. .Plus largement,un vrai statut des moins de 25 ans est indispensable .

    2)
    Vous envisagez comme réponse à cette situation du premier cycle qui correspond souvent à une relégation ,des mesures qui me semblent très contestables.
    Les écoles privées(je connais bien le cas des écoles d’art privées) sont de qualité inégale mais ce que les parents y cherchent (avec des sacrifices financiers parfois importants),c’est justement d’échapper à cet enseignement inadapté qu’on leur propose quasi gratuitement !
    Il faudrait quand même un jour que l’on comprenne le message qui est envoyé par ce rejet.
    Pour les autres formations proposées par les prépas,BTS , IUT c’est justement le caractère sélectif qui en fait tout le prix aux yeux des étudiants qui choisissent ces voies ..A cela s’ajoute un type d’encadrement et de suivi qui fai de chaque promotion un groupe et non une masse atomisée et invisible .Les étudiants cherchent des « écoles » dont ils apprécient les particularités et même la discipline .
    Ce que votre proposition d’une régulation publique ne prend pas en compte ,c’est que si l’on continue massivement de plébisciter ces « écoles » en tout genre c’est qu’elles donnent satisfaction. Et cela de la prépa à HenriIV au petit BTS de communication visuelle en province.
    D’ailleurs tous les enseignants du supérieur de moi connus jouent ce jeu et très intelligemment. !!>Pas un pour conseiller à ses enfants de s’inscrire en fac en 1ère année d’anglais.,
    Je ne me prononce pas sur l’autonomie d’affichage des universités ,je ne suis pas compétente

    6)
    En revanche ,vous avez raison de dire (cela corrobore mon point de vue) que la question la plus grave est celle de la 1ère année car le système est féroce et il ne reste pas grand monde déjà au niveau de la licence. (A mon époque ,nous n’étions pas plus du tiers )
    Le fait que le baccalauréat qui ne devrait être qu’un certificat de fin d’études soit juridiquement le premier grade universitaire est devenu une aberration.Que tout baccalauréat ouvre les portes à toutes les filières en est une 2ème.
    Je suis bien d’accord avec vous sur le fait qu’il faut davantage qu’un simple « encadrement »
    pour résoudre cet échec massif et coûteux . Il faut découpler le bac comme certificat d’un certain niveau d’étude et un « autre examen » qui serait le premier grade universitaire.On réinvente,en somme , la propédeutique( !!). En médecine c’est bien le rôle que joue l’examen de fin de 1ère année (et il y a un nombre de boites à bachotage privées qui en font leurs choux gras).
    Ceci dit je crains que le personnel enseignant dans le supérieur ne soit pas le plus apte à conduire cette année de propédeutique,ni qu’il en ait le goût.On ira chercher des Prag pour faire le boulot dont ne veulent pas « nos » chercheurs. Mais pourquoi pas ?! Cela fera du travail pour des gens comme moi.

    Ceci dit je ne crois pas que ce soit pour demain tant les syndicats étudiants et leurs adhérents sont attachés au système actuel.

    C’est pourquoi je me permets de vous suggérer une idée qui me vient de mon passage en Ethnologie ; Dans les années 70 , ce département ne commençait son enseignement qu’en licence avec un certain nombre de pré-requis comme savoir parler plusieurs langues étrangères.
    C’est aussi ce que l’on voit dans la multiplication des doubles licences qui permettent de selectionner (sans encourir les foudres des syndicats étudiants)des étudiants particulièrement motivés(philo-droit, …droit-histoire de l’art..) et qui viennent souvent d’une classe prépa.

    En conclusion,
    Pourquoi une lettre si longue ?
    C’est parce que je soupçonne derrière l’idée d’une « régulation publique » des différentes offres de formation que vous n’ayez dans l’esprit que d’aligner les formations qui marchent sur les formations universitaires qui battent de l’aile.(dans le 1er cycle).

    Ceci dit ,je ne vois pas en quoi cela mettrait en péril les travaux des chercheurs et des labos quand ils sont de qualité ;il y a assez d’heures dans le service d’un enseignant-chercheur pour mener à bien des recherches même fondamentales(ce qui est assez rare ,avouez-le) .

    Sincèrement vôtre

    • CamilleD

      Bonjour,
      Merci pour votre témoignage. Toutefois, nous nous rappelons que ce site n’est pas celui de M. Gauchet, mais celui que ses amis ont désiré créer. Vous ne pouvez donc contacter directement M. Gauchet, et a contrario M. Gauchet ne saurait vous répondre par notre site.

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