Hollande est l’esclave du PS

Entretien publié dans Le Point n°2111 du 28 février 2013.
Propos recueillis par Elisabeth Levy.

Le Point : Si les Français croyaient se débarrasser de leurs problèmes en congédiant Nicolas Sarkozy, l’illusion semble avoir fait long feu. Au bout de neuf mois, faites-vous partie des déçus du hollandisme ?

Marcel Gauchet : Pour être déçu, il faut avoir espéré… Cela dit, on peut porter au crédit de François Hollande d’incarner dignement la fonction, ce qui, soit dit en passant, nous change du précédent titulaire du poste. Quelque chose avait fini par créer un climat très bizarre dans ce pays dirigé par un chef erratique qui ne savait pas distinguer son rôle officiel et sa personne. Hollande donne un visage présentable aux institutions républicaines et, en France, c’est important. De ce point de vue, la promesse est tenue : le contraste entre l’agitation de l’un et la normalité de l’autre me convient.

Autrement dit, s’il ne fait pas rêver, il est sérieux. Mais comment jugez-vous son action ?

Au total, je suis frappé par son habileté. Pour prendre un exemple récent, l’une des choses les plus difficiles qu’il ait eu à faire était le voyage en Algérie. Il s’en est admirablement tiré.

Habile, digne, tout cela est bel et bon, mais où est le « mais » ?

Le « mais », c’est que cette habileté est au service d’une absence de cap clair qui finit par créer un trouble d’un autre genre. On a l’impression qu’il recule devant la difficulté, qu’il biaise avec elle. Or les circonstances historiques rendent cette méthode de gouvernement intenable. Nous avons des démineurs quand nous aurions besoin d’artilleurs. De ce point de vue, Hollande n’est en rien un cas à part, il est dans la moyenne de ses homologues européens. A vrai dire, on chercherait en vain sur la planète un personnel politique qui soit à la hauteur de la tempête qui s’annonce. Pensez à la déception suscitée par Obama, qui est pourtant intelligent, respectable, cultivé. Mais sa capacité d’entraînement politique est nulle et on voit bien qu’il est dépassé par la situation. Plus généralement, on ne voit pas beaucoup de discours innovants émerger dans la sphère politique. Et je ne parle pas des économistes…

On a reproché à Nicolas Sarkozy de ne pas être un président littéraire. François Hollande ne l’est-il pas moins encore ?

Moins romanesque, c’est certain, et c’est tant mieux. Pour le reste, ils sont aussi peu portés à l’imagination et à la grande culture l’un que l’autre. Que voulez-vous, la prose économique et bureaucratique a enterré le reste !

En somme, de Sarkozy à Hollande, le style a changé mais, sur le fond, nous ne sommes guère avancés…

Du point de vue de ce qu’il faudrait faire pour nous sortir de la crise, Hollande n’a sans doute pas beaucoup plus d’idées que Sarkozy, en effet.

Que lui manque-t-il ? De la culture ? De l’imagination ? Du discernement ?

De l’audace, pardi ! Je crois qu’on peut reconnaître à François Hollande une grande intelligence de la situation. Il sait que l’équation qu’il doit résoudre est d’une difficulté terrifiante. Mais cette difficulté, il n’est pas décidé à la prendre de front.

Pas décidé ou pas capable ?

Je n’ai pas les éléments pour en juger. Ce que je crois constater, c’est qu’il est particulièrement peu outillé, intellectuellement et idéologiquement, pour affronter un défi majeur qui est que la mécanique européenne est enrayée. Nicolas Sarkozy avait encore pu, à tort ou à raison, ce n’est pas ici la question, créer l’illusion qu’on pouvait s’arranger avec Angela Merkel et qu’on s’en sortirait en instaurant une sorte de gouvernance à deux. Or ça ne marche pas. Le problème n’est pas de savoir si Hollande et Merkel s’aiment ou pas, il vient de ce que la mécanique ne répond plus et que, pis encore, elle devient un obstacle, puisque tout ce qu’on pourrait tenter est bloqué d’avance par le système en place. Autrement dit, les gouvernants sont soumis à une machine qui les condamne à l’impuissance.

Mais si Hollande est aussi bon analyste que vous le dites, pourquoi ne tente-t-il pas sinon de modifier radicalement la politique d’ouverture des frontières et de libéralisation des échanges menée depuis trente ans, du moins de l’infléchir ? Après tout, même si sa culture est celle d’un brillant énarque, la lecture d’Emmanuel Todd en fait partie, non ?

Sans doute, mais, si lucide soit-il, Hollande demeure prisonnier du moule socialiste dans lequel il a été formé – donc du logiciel européen. Certes, il a l’intelligence de ses insuffisances, mais pas la force de s’en émanciper. Sur les questions européennes, il part des mêmes exclusions de principe que son prédécesseur. Pour l’un comme pour l’autre, il n’est même pas envisageable de s’interroger sur le bien-fondé de l’entreprise européenne.

Pourtant, même au PS, il y a des divergences intellectuelles sur l’Europe…

Intellectuellement, le Parti socialiste n’existe plus. Il est arrivé à l’os, c’est-à-dire à n’être plus qu’une machine de pouvoir. Même les fameux courants dont on nous rebattait les oreilles il y a quelques années ont perdu leur consistance. Il reste des écuries et des clientèles. Or cette machine à gagner en disant n’importe quoi s’il le faut et à distribuer des postes est un fardeau considérable pour le chef de l’Etat. Contrairement à François Mitterrand, qui avait créé cet appareil et le dominait, François Hollande est à bien des égards son esclave. Le PS pèse lourdement sur la façon dont fonctionne le gouvernement. Et, pour lui, c’est un boulet.

Et c’est pour donner des gages à cet appareil qu’il fait le mariage pour tous – ce qui signifie que les socialistes ne veulent pas seulement des postes mais des victoires idéologiques…

Les victoires idéologiques permettent d’obtenir des postes. Quoi qu’il en soit, même si lui-même était convaincu que ce n’était pas une urgence pour la France, François Hollande ne pouvait pas ne pas donner aux membres de l’appareil cet alibi qui leur permet de croire à leur propre discours sur le changement. Car l’apathie intellectuelle du PS s’inscrit dans un cadre conceptuel prédéfini et incontestable : outre l’Europe comme horizon indépassable, il y a les bons principes des gens bien sur le plan moral – extension indéfinie des droits, égalité de tous en tout, amour inconditionnel de la différence. La voie est toute tracée et les barrières qui l’encadrent sont très hautes. Tout cela borne et la pensée et l’action.

Pourtant, nous aimerions sans doute avoir des élus capables d’affronter le réel, y compris en nous brusquant.

A en croire le dernier baromètre du Cevipof, il semble en effet que les Français veulent un chef, un vrai, un homme à poigne capable de remettre de l’ordre. Cela dit, s’il s’en présentait un, je suis certain qu’ils ne s’en accommoderaient pas longtemps. De toute façon, cette question est parfaitement théorique, car on ne voit pas le moindre sauveur suprême à l’horizon. On peut jouer à se faire peur avec Marine Le Pen ; elle n’est pas taillée pour le rôle de dictateur.

Finalement, François Hollande est peut-être exactement le président que nous voulions. En ce sens, n’est-il pas le produit de la médiocrité démocratique qu’annonçait Tocqueville ?

Je n’opposerai certainement pas une société pleine de créativité, d’imagination et d’audace à d’affreux hommes politiques qui n’auraient pas le courage de prendre la moindre décision. Ces gens sont nos dignes représentants, ils expriment parfaitement le climat de peur et de démission intellectuelle qui règne dans nos sociétés, conduisant au statu quo et à la recherche de solutions à court terme. Alors, sans doute, M. Hollande n’est-il pas à la hauteur de la tâche historique qui s’impose, mais la France ne l’est pas non plus.

Propos recueillis par Elisabeth Levy.

A paraître le 14 mars : « L’avènement de la démocratie, I. La révolution moderne » (Folio Essais).

2 commentaires

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2 Responses to Hollande est l’esclave du PS

  1. Mme MUBUMBILA F

    Monsieur GAUCHET, bonjour !
    Je vous écris car je souhaite vous rencontrer pour travailler ensemble. J’ai lu votre article sur « Une pédagogie éclairée est à inventer » du 21/03/2013. Un peu plus loin, vous dites « …un profeusseur doit être à la fois meneur de groupe, comédien avec plus de connaissances approfondie … »
    Je souhaite vous parler en « live ». Mon tél 07 61 44 33 57.
    D’avance, je vous remercie
    Mme MUBUMBILA

    • CamilleD

      Bonjour,
      Nous vous rappelons que ce site n’est pas celui de Marcel Gauchet, mais celui que ses amis, collègues et élèves ont désiré créer pour relayer son actualité. Vous ne pouvez pas joindre M. Gauchet via ce site.
      Bien cordialement,
      Les amis de Marcel Gauchet

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