Le Figaro sur Marcel Gauchet : Vie et mort de l’État providence

28/10/2010 | Le Figaro

Marcel Gauchet souligneles articulations majeures de l'histoire européenne du siècle passé, 1914, 1945 et... 1974.(Jean-Christophe Marmara/Le Figaro)
Marcel Gauchet souligneles articulations majeures de l’histoire européenne du siècle passé, 1914, 1945 et… 1974.(Jean-Christophe Marmara/Le Figaro)

Dans L’avènement de la démocratie (Tome III) À l’épreuve des totalitarismes, 1914-1974, le philosophe Marcel Gauchet analyse l’évolution du système démocratique du XXe siècle, confronté aux totalitarismes fasciste, nazi et communiste.

Dans le paysage intellectuel français, Marcel Gauchet a acquis peu à peu une place de premier plan. Il la doit, chose rare aujourd’hui, non point à sa présence incessante dans les médias, mais à la seule rigueur de sa pensée. Cet homme à part qui élève rarement la voix développe des raisonnements serrés qui conduisent le lecteur à des conclusions possédant la force de l’évidence. Il le prouve une fois de plus dans le troisième volume d’une série consacré aux fortunes diverses de la démocratie au XXe siècle. 

Il est banal de renvoyer dos à dos les totalitarismes de gauche et de droite. Le mérite de Marcel Gauchet est de dépasser ce simple constat et de montrer que bolchevisme, fascisme, nazisme procédèrent d’abord d’une crise du libéralisme à un moment particulièrement délicat où la religion commençait à ne plus structurer les sociétés occidentales. Mais ce fut en définitive la grande guerre de 14-18 qui consacra les extrêmes. «Le séisme change tout, en leur prêtant une plausibilité à la hauteur des bouleversements qu’il entraîne et de l’époque inédite que manifestement il ouvre – la révolution d’Octobre se chargeant de surcroît d’illustrer ce passage de l’utopique au praticable.» La puissance d’attraction du totalitarisme tiendra à une sorte de mirage passéiste. Alors que le libéralisme naissant peinait déjà un peu partout à imposer sa légitimité, la force du totalitarisme rouge, noir ou brun était de faire croire à la possibilité de restaurer l’ordre hiérarchique ancien, de revenir en somme à une unité perdue, sur la base de l’État nation. Il faudra la Seconde Guerre mondiale pour que l’illusion se dissipe – du moins pour ce qui concerne les totalitarismes de droite puisque l’Union soviétique, alliée aux démocraties pendant une grande partie de la guerre, mettra beaucoup plus de temps à s’écrouler.

Le tournant de 1945

L’existence de ce front antifasciste des vainqueurs de 1945 a d’ailleurs eu pour résultat de faire un peu oublier que l’axe véritable du siècle fut le conflit de la démocratie et du totalitarisme. Et en des pages magistrales, Marcel Gauchet fait ressortir combien apparaît historique le tournant de 1945 lorsque, un peu partout dans les pays occidentaux, se mit en place un État providence protecteur du citoyen, tandis que l’aide Marshall imposait un important effort de rationalisation budgétaire et de prévision en matière d’investissements. À ce moment, les sociétés démocratiques européennes semblèrent avoir trouvé le moyen de dominer rationnellement et sans drames les problèmes collectifs que, jusque-là, seuls les systèmes totalitaires prétendaient pouvoir régler. «À petits pas, en tâtonnant, souligne Marcel Gauchet, elles ont enraciné pour de bon la démocratie en la redéfinissant de fond en comble, sans même s’en rendre compte. C’est l’autre face de notre XXe siècle, sa face glorieuse et méconnue, éclipsée qu’elle est par sa face de terreur et d’horreur.»

En 1974, avec le premier choc pétrolier, cette période se ferma sans doute pour longtemps. De plus en plus, on verra la fragilité de l’État providence. La crise économique récurrente depuis lors se double d’une crise démographique qui implique pour le financement des dépenses sociales un surendettement croissant des États. En 1999, quand disparut l’Union soviétique, la victoire de la démocratie apparut éclatante. Le succès, indéniable, masquait toutefois des problèmes qui ne sont toujours pas résolus.

L’avènement de la démocratie (Tome III) À l’épreuve des totalitarismes, 1914-1974 de Marcel Gauchet, Gallimard, 662 p., 24 €.

Le Figaro – Livres : Vie et mort de l’État providence .

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