Les affaires Cahuzac et Augier offrent à Hollande un bon angle d’attaque

Entretien publié dans Sud Ouest Dimanche le 7 avril 2013.

Pour l’historien et directeur de la revue « Le Débat », les affaires Cahuzac et Augier donnent à l’exécutif l’opportunité de tenir deux promesses essentielles de campagne.

« Sud Ouest Dimanche ». Crise morale, crise de régime… Les grands mots sont de sortie depuis l’affaire Cahuzac et les révélations sur les paradis fiscaux qui éclaboussent un proche de François Hollande. Que nous arrive-t-il ?

Marcel Gauchet. Ce n’est pas d’aujourd’hui que des gens vont cacher de l’argent en Suisse pour échapper au fisc. Au cours des quarante dernières années, ce système s’est considérablement développé. L’étendue des possibilités offertes par la globalisation financière et sa part obscure, la finance offshore, ont permis au monde connu de se doter d’un double fond. Le phénomène est devenu structurel. Voilà peut-être l’élément nouveau apporté surtout par l’enquête du journal « Le Monde ».

À l’intérieur de nos sociétés prévalent toujours des règles certes imparfaites mais assez égalitaires. À l’extérieur s’est développé un autre monde réservé à de très grandes entreprises, à de puissantes organisations criminelles et à des dizaines de milliers de particuliers parmi les plus fortunés. Ces privilégiés ont accès à ces deux registres de la vie sociale.

Depuis le début de la semaine, nous savons que figurait dans leurs rangs un ancien ministre du Budget, ce qui la fiche mal. Mais aussi le trésorier de campagne de François Hollande, ce qui n’est pas très indiqué non plus.

Jean-Jacques Augier peut faire valoir un déport entre ses fonctions officielles et ses affaires personnelles. Avec Jérôme Cahuzac, les limites du cynisme paraissent franchies, non ?

Oui, c’est le comble. Le gardien de la règle était secrètement dans la transgression de la règle. La contradiction est totale. C’est comme si l’on découvrait demain que le ministre de l’Intérieur avait ouvert un cercle de jeu clandestin Place Beauvau.

Il sera probablement plaidé par Jérôme Cahuzac que cela s’est passé dans une vie antérieure. Mais cela reste très choquant.

François Hollande et l’exécutif sont-ils aussi touchés qu’on l’entend dire ces derniers jours ?

Je ne crois pas. Le président de la République ne connaissait pas forcément les opérations privées de son trésorier de campagne. Et n’était pas nécessairement au courant des activités assez éloignées dans le temps de son ministre du Budget. Loin d’entraver l’exécutif, ces affaires me paraissent au contraire actualiser la teneur de son programme politique.

Pour ce gouvernement dont l’agenda est de réduire les déficits publics, voilà enfin l’occasion de mettre la lutte contre la fraude et les paradis fiscaux parmi ses priorités. Je ne comprends d’ailleurs toujours pas pourquoi il ne s’y est pas attelé avant.

Au lendemain de « l’aveu » de Jérôme Cahuzac, le président de la République n’en a pas davantage fait état…

C’est vrai. Demander plus de transparence et plus de contrôle pour les revenus et les patrimoines des personnes publiques, c’est élémentaire. Mais ne considérer que des symptômes sans toucher aux causes ne peut plus convaincre personne.

Les dérèglements de la finance internationale sont directement liés à ce qu’il se passe dans ces paradis fiscaux et dans cet univers financier parallèle. Le sujet est à l’ordre du jour depuis des années et des années. Or, rien n’a été fait. Pas même après la crise financière de 2008, en dépit des annonces. Et pas même en Europe, où le Luxembourg demeure la plaque tournante entre la finance officielle et la finance offshore.

Pour le président Hollande, en manque de leadership européen, voilà un très bon angle d’attaque. En s’emparant du sujet, il tiendrait en outre une de ses promesses de campagne.

Le non-cumul n’est-il pas l’autre voie de moralisation qui s’impose ?

C’est en effet le moment ou jamais de tenir cette autre promesse électorale. Au-delà, une réforme profonde du fonctionnement des assemblées s’impose et serait même très populaire. Voir cette semaine le sénateur Philippe Marini utiliser sa réserve parlementaire au bénéfice de l’hippodrome de Compiègne, dans le contexte d’austérité actuel, c’est invraisemblable.

Il faut donner sa traduction politique et institutionnelle à la société d’information dans laquelle nous vivons. Cette société de la transparence, de la vérification, nous oblige à aller au bout d’un très vieux principe, celui de la règle commune, de l’égalité devant les règles collectives. Ceux qui font la loi doivent être les premiers à se soumettre à la loi.

Faire de l’Europe un espace exemplaire de l’égalité devant la loi, voilà un programme simple qui serait de nature à la réconcilier avec les citoyens.

En dépit d’élites assez peu exemplaires, la société demeure collectivement très respectueuse des règles. C’est la bonne nouvelle ?

C’est en effet le signe que l’utilité de ces règles ne fait de doute pour personne. Ce profond consentement mériterait d’être mieux utilisé.

La façon dont l’affaire Cahuzac a éclaté ne pose-t-elle pas question ?

Tout à fait. À l’heure de la démystification, il faut aussi démystifier le fameux journalisme d’investigation. Car ce journalisme pose autant de problèmes moraux qu’il en résout. En réalité, il s’agit d’un journalisme de délation.

C’est peut-être un mal nécessaire, car il est important que ces informations soient portées à la connaissance du public. Mais ce journalisme-là est un très mauvais instrument de transparence collective. Là encore, la question n’est pas d’hier. Faut-il employer des moyens immoraux au service d’une fin morale ? Cela ne sera jamais une solution satisfaisante.

C’est en instaurant un système de règles vraiment difficiles à contourner qu’on viendra au bout du problème de la transparence collective. Et non pas en renforçant la délation.

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