Entretien dans « La Croix » à propos de l’autonomie des universités

Pour le philosophe Marcel Gauchet, qui cosigne un ouvrage (1) avec le groupe des « refondateurs », les universités ont besoin d’une «vraie» autonomie, quitte à remettre en question le cadre national des diplômes

La Croix. Le point de départ de votre ouvrage est la crise universitaire de 2007 provoquée par la loi d’autonomie. Quelle leçon tirez-vous de ces événements ?
Marcel Gauchet : Les universitaires n’ont pas été capables de se faire comprendre du public. Le principe d’autonomie apparaissait conforme à l’esprit du temps. Le discours du gouvernement autour de la nécessaire évaluation semblait frappé au coin du bon sens. Pourquoi les enseignants-chercheurs n’auraient-ils pas, comme tout le monde, des comptes à rendre ? Ce qui frappe, depuis, c’est la capacité de résignation désespérée des universitaires, qui constitue la marque d’une institution à la dérive.

En janvier 2011, 75 des 83 universités seront passées à l’autonomie, alors qu’elles ont jusqu’en 2012 pour le faire. Ce texte a-t-il produit les effets redoutés ?
La crainte, c’était de voir cette loi – et son décret d’application sur la réorganisation du service des enseignants-chercheurs – porter atteinte à la liberté académique, possibilité essentielle pour l’avancement des connaissances d’agir en son âme et conscience du point de vue de la recherche que l’on mène et du type de formations dans lesquelles on engage ses étudiants. Ce qui était redouté, c’était un pilotage dicté par l’économique. Le bilan, sur ce point, est nuancé, car il s’agit d’un mouvement à long terme.

En revanche, les craintes se sont confirmées s’agissant des procédures de recrutement. On peut même parler de recrutement mafieux. Les présidents d’université peuvent créer des postes. D’où une technique simple, qui consiste à accorder des postes à tel département à condition qu’il recrute M. Untel. Si l’on ajoute à cela les nouvelles possibilités qu’offrent les statuts de professeur associé ou de contractuel, on obtient un système de cooptations entre élites locales.

À quoi cela tient-il ?
À un système d’autonomie sans concurrence. Aux USA, où les universités sont vraiment autonomes, lorsqu’on recrute un candidat, on sait que sa propre réputation – voire sa propre rémunération – est en jeu. Cela incite à la prudence. En France, quoi qu’elles fassent, les universités ont, en dehors de quelques circuits d’élite, des bassins de recrutement captifs et des ressources qui leur sont allouées sur des critères essentiellement sociaux. De cette réforme, l’université sort peut-être améliorée dans sa gestion au jour le jour, son corps est en meilleure santé mais elle a perdu beaucoup de son âme.

Le défaut de cette loi a été, selon vous, de ne pas s’attaquer à l’ensemble de l’enseignement supérieur. Faut-il revoir le statut des grandes écoles ?
Il ne s’agit pas d’en finir, au nom de l’égalité, avec le système des grandes écoles. Mais ces dernières tendent à empêcher les universités d’aller vers l’excellence, au motif qu’il existerait un partage du travail : elles s’occupent de l’élite, la fac s’occupe – bien ou mal, peu importe – de la masse. Les grandes écoles ont la capacité de repérer de très bonnes têtes mais elles leur imposent un type de cursus extrêmement scolaire. Or la société comme les entreprises ont besoin aussi de gens imaginatifs, créatifs, ouverts, adaptables.

Comment remédier à cet état de fait ?
En permettant aux universités de définir de manière réellement autonome leurs filières propres. Cela passe par la suppression du cadre national des diplômes. Tout le monde sait que les universités sont de qualité inégale, mais cette hiérarchie est neutralisée par le fait qu’elles délivrent des diplômes nationaux ouvrant la porte des concours où chacun peut ensuite tenter sa chance. Si on supprime ce cadre national, on défavorise les étudiants des universités de province moins développées. Mais ce n’est pas en défendant l’égalité abstraite comme le font les Français qu’on parviendra à sauver le système. Au contraire, on va droit à l’instauration d’une concurrence assez sauvage.

Propos recueillis par Denis PEIRON

(1) Refonder l’université, rédigé par Marcel Gauchet, Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz et François Vatin, Éd. La Découverte, 19 €.

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