L’intelligence collective a de l’avenir

20 juin 2010 / dimanche Ouest France

Le Débat, revue qu’il anime, fête ses trente ans. Le philosophe Marcel Gauchet défend une réflexion éclairée sur les défis que doit relever notre société.

Marcel Gauchet, 63 ans, philosophe, a publié plusieurs livres sur la démocratie, la religion et la psychologie contemporaine.

1980-2010 : 30 ans de Débat, ça vous fait quoi ?

Un peu de vertige rétrospectif, tant les choses ont été étonnamment rapides. La concentration sur les objectifs de notre revue donne après-coup une impression de vitesse prodigieuse, compte tenu de l’ampleur des changements.

Quels changements majeurs ?

Évidemment le plus spectaculaire a été 1989 et la désagrégation du bloc soviétique. Le second a été l’informatisation : dès 1980, on avait le sentiment d’un changement d’époque. Internet a démultiplié les effets de cette transformation.

Un changement aussi puissant que l’invention de l’imprimerie ?

Je ne crois pas. C’est une innovation technique qui associe des outils déjà disponibles. C’est du côté du virtuel que se situe peut-être la transformation la plus importante. Chacun est relié à tous, ce qui tend à se substituer aux relations sociales concrètes.

Ça modifie quoi dans la vie politique ?

On a beaucoup parlé de démocratie directe, participative. C’est une fausse piste. Les blogs, les commentaires généralisés, le « tous journalistes », tout cela a des limites. Le changement le plus profond touchera sans doute le fonctionnement des États et des administrations. Les citoyens peuvent accéder à l’information qui les concerne, ce qui leur donne les moyens d’un dialogue plus armé avec les représentants de la puissance publique.

Il y a quelque temps, vous avez dit : « Il faudrait nous remettre à penser »…

Notre société est envahie par l’illusion que l’on peut se passer de penser dans la vie sociale, que l’immédiat, l’émotion valent mieux que la réflexion. Que la régulation automatique doit être préférée à l’effort délibéré d’une réflexion éclairée. Les événements nous font redécouvrir la nécessité de penser le fonctionnement de notre société.

Sous quelle forme ?

Elle se résume par le mot « délibération ». Nous touchons aux limites de l’expertise. L’expert est comme un mécanicien qui intervient pour remettre en marche une machine en cas de panne. Il n’a pas besoin de comprendre l’ensemble : il intervient dans son petit domaine. Or, une société ne fonctionne pas de cette façon. L’expert est indispensable, mais il n’a qu’une vue partielle. Il doit être confronté aux citoyens. Sur ce terrain, nous sommes au début de quelque chose : l’apprentissage d’une réflexion collective permettant, par la confrontation des points de vue, d’approcher les bonnes solutions.

Dans la finance, par exemple ?

C’est l’exemple même. On voit où nous ont menés les prétendus experts. Pour le moment, nous sommes sous le choc. Mais un vaste travail est engagé pour établir l’anatomie du système financier. Penser la finance ¯ pour la réparer ¯ sera un processus long, bien différent du temps électoral et des effets d’annonce politiques. Mais c’est par là que nous sortirons du pétrin. L’intelligence collective a de l’avenir.

Sur les retraites, vous dites « réfléchissons aux âges de la vie »…

C’est en effet une question diabolique, qui engage les générations, l’organisation de la vie, de la naissance à la mort. Si nous voulons refonder notre système de protection sociale, il faut un vrai travail d’analyse et de discussion collective.

Vous avez beaucoup de chantiers comme celui-là ?

D’abord, comprendre l’état du monde, zone par zone, pays par pays. Que savons-nous de la Chine ou de l’Inde, mais aussi bien des États-Unis, pour ne pas parler de nos voisins européens ? Les Européens se connaissent de moins en moins entre eux. Seconde priorité : les défis de nos sociétés, État providence, éducation. Au moment où on parle de société de la connaissance, nos systèmes éducatifs implosent.

Que faire ?

Notre travail, c’est d’éclairer ces questions, de montrer leurs ressorts véritables. Pour cela, nous donnons la parole à tous ceux dont les vues nous semblent fécondes. Notre souci est d’inscrire la réflexion dans l’espace public, hors des chapelles et des cloisons universitaires. Un espace public éclairé : c’est notre but.

Paul GOUPIL.

Lire aussi De quoi l’avenir intellectuel sera-t-il fait ?,

ouvrage collectif aux Éditions

Le Débat-Gallimard, 512 pages, 22,50 €.

2010-06-209

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