«Se libérer du fatalisme», entretien pour l’Est Républicain

Dans votre nouvel ouvrage À l’épreuve des totalitarismes, vous parlez de ceux-ci comme d’« anti-religions religieuses ». Qu’est-ce à dire ?

Les totalitarismes sont arrivés à un moment bien déterminé du processus de sortie de la religion caractéristique de l’histoire européenne. Ils ont été des tentatives de réinventer d’anciennes formes religieuses avec des moyens modernes et de l’intérieur de l’univers démocratique. C’est une manière de refaire de l’ancien sur du nouveau.

Pour inventer une nouvelle humanité ?

Oui, et surtout pour terminer l’histoire. Les totalitarismes participent de l’idée que l’on est au bord de trouver la formule définitive de la collectivité humaine où il s’agit d’inventer un homme nouveau qui sera le dernier homme, l’homme enfin pleinement abouti et collectif.

Ça n’a heureusement pas fonctionné et vous semblez confiant, les totalitarismes ne nous guetteraient plus ?

Je pense en effet que des totalitarismes sur le sol européen sont inimaginables parce qu’ils n’ont plus de carburant idéologique. Mais attention, cela ne veut pas dire que nous sommes à l’abri définitif de la barbarie dans l’histoire. Simplement, si cette barbarie doit revenir, elle aura une forme très différente des totalitarismes du XX e siècle.

Et comment voyez-vous l’avenir des révoltes dans le monde arabo-musulman ?

Ces révoltes montrent que l’espèce de fatalisme qui promettait ces sociétés au fondamentalisme n’est pas nécessairement la loi de l’histoire. Je crois que toutes les sociétés de la planète ont à digérer aujourd’hui le choc de l’occidentalisation. Et cela les place dans des situations de contradictions identitaires très violentes où des choses éventuellement très déplaisantes sont possibles, mais ça n’en fait pas nécessairement des totalitarismes.

Quant aux sociétés occidentales, si elles semblent en avoir fini avec les vieilles lunes, quel nouveau soleil pourraient-elles faire briller ?

Il s’agit à mon sens de refuser toute idée que nous sommes dans du définitif. Je crois que la possibilité et la liberté humaine de s’inventer sont des garanties très puissantes et qui pourraient nous libérer par exemple du fatalisme économique du « ça ne peut pas être autrement ». Car, bien sûr que l’on peut faire autrement ! Le tout est de se donner les moyens de l’inventer et de l’imaginer. Mais ce n’est pas une petite affaire.

Propos recueillis par Pierre LAURENT

Laisser un commentaire

Archivé dans la catégorie :

Entretien

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *